La mort du Grand Siècle

Par Hélène Delalex

Matin du 1er septembre 1715. Le Roi est mort. Après 15 jours de souffrances qu’il a soutenues avec une fermeté absolue, « il a rendu l’âme sans effort, comme une chandelle qui s’éteint », témoigne le marquis de Dangeau. A cet instant, des officiers sortent de la chambre royale et disparaissent dans les combles déplacer l’unique aiguille de l’horloge de la cour de Marbre. C’est une horloge immobile, sans mécanisme : elle ne marque pas le temps mais l’heure de la mort du roi. Comme un doigt invisible, l’inflexible aiguille de Versailles indique désormais 8h15.

Le Roi est mort et la nouvelle se propage dans toute l’Europe à la vitesse d’une déferlante, sans jamais préciser de quel roi il s’agit : car Louis XIV est « le » roi, « le plus grand roi du monde », un roi quasi-immortel qui régnait depuis 72 ans. A une époque où l’on est un vieillard à 50 ans, et où l’espérance de vie moyenne en France n’est que de 25 ans, cette capacité de résistance physique et morale, à plus de 76 ans, semblait véritablement surhumaine. Son règne, le plus long de l’Histoire de France, consacre un rayonnement de la France sans précédent. On se rappelle la magnificence du monarque, le constructeur de la France moderne, le bâtisseur dont le nom s’affiche au fronton des grands monuments élevés à sa gloire, le créateur de Paris Ville Lumière, le réformateur de l’armée, le chef de guerre repoussant les frontières du royaume, le mécène, grand ordonnateur des chefs-d’œuvre de l’art et de l’esprit…

Le Roi est mort et aujourd’hui, ce n’est pas seulement la mort d’un roi : Louis XIV emporte avec lui la Cour, Versailles, et son siècle tout entier dont il était le dernier rempart.

Par Hélène DELALEX, attachée de conservation au château de Versailles, en charge de la collection des carrosses. Le 15 octobre 2015 paraîtra Louis XIV intime aux éditions Gallimard.